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Régénération des fronts de mer

Il existe un lien fort entre la dynamique économique des villes et le développement de leur industrie portuaire :

 

« Waterfronts were the focal points of social and economic life for the urban areas which grew up around them and were often also fully integrated within the urban fabric (…) »

  -Smith, H. et Garcia-Ferrari, M.S.

 

Effectivement, les fronts de mer sont le reflet des changements sociaux ou du climat économique d’une ville. Au départ, le développement des fronts de mer n’était pas planifié et se faisait naturellement selon les besoins. L’usage et la configuration des bords de mer se sont donc vus transformés au fil du temps. Le front de mer commence de manière générale avec un simple quai pour accoster et débarquer passagers et marchandises. Puis, la tendance a poussé le développement industriel généralisé qui apporte d’autres industries et usages sur le littoral : espace pour les entrepôts, usines et commerces.

Historique : fronts de mer et mondialisation

Point focal de l'activité

économique et sociale

Spécialisation de la zone et

rupture avec le tissu urbain

Déplacement de l'industrie

hors centre-ville

Rotterdam, 1960

Montréal, 2017

amsterdamcitytours.com

worldportsource.com

lesaffaires.com

Amsterdam, 1544

On remarque qu’à travers les différentes phases de mondialisation, il est possible de distinguer 3 types de formes d'industries portuaires et donc de fronts de mer :

Phase 1 :

 

Au 16e siècle, le mercantilisme européen qui s’étend à l’échelle mondiale favorise le développement urbain des villes portuaires de par leur importance au sein des échanges commerciaux grâce aux nouvelles technologies de la voile. Le front de mer est le point focal d’activité économique et sociale, il est intégré au tissu urbain.

Phase 2 :

 

Au 19e siècle, l’expansion impérialiste crée une intensification des échanges par voie navigable et l’arrivée du moteur à vapeur entraîne la création de grandes infrastructures, comme le prolongement de quais, canaux, dépôts de chemin de fer, ponts, chantier maritime, etc. En venant occuper l'entièreté du front de mer, celui-ci devient une zone spécialisée où le citoyen est maintenant exclu. C’est à partir de cette phase que la ville perd son lien avec le bord de l’eau.

Phase 3 :

 

Après la 2e guerre mondiale, de nouveaux changements technologiques comme la conteneurisation et la construction de navires encore plus gros entraînent un déplacement des activités portuaires en dehors du centre urbain vers des endroits plus spacieux permettant l’entreposage et la manutention. De plus, l’évolution du marché mondial implique que l’activité commerciale en relation avec le port moderne ne nécessite pas de contact social direct ou une proximité avec son marché ce qui explique également le déplacement du port industriel hors centre-ville.

Cependant, certaines qualités se sont avérées essentielles pour favoriser l’établissement de ces ports et de leur économie (ULI, 2004) :

  • Proximité avec un cours d’eau ayant de nombreux attributs et permettant l’exploration et le transport le plus loin possible dans les terres (ex : fleuve Mississippi ou Saint-Laurent);

  • La sécurité du port par un endroit où il est possible de s’ancrer à l’abri des tempêtes, surtout lorsque situé sur le bord de la mer. La sécurité peut être également accrue par le relief naturel;

  • L’accessibilité aisée au port;

  • La profondeur des eaux permettant aux gros navires d’accoster

Les fronts de mer qui, aujourd’hui, en sont à l'étape de requalification de leur développement (voir point B. dans le schéma ci-haut) se retrouvent donc en pleine régénération. Ce sont ceux développés lors de la 2e phase de mondialisation mentionnée plus haut. Ceux-ci ont été rendus obsolètes ou non profitables suite aux changements macro-économiques et technologiques de la 3e phase. L’avènement du transport ferroviaire et routier a contribué également à faire baisser considérablement les besoins portuaires en offrant d’autres moyens de transport plus faciles et efficaces. L’espace libéré peut alors être réutilisé pour d’autres usages (ULI, 2004), mais démolir, requalifier et construire demande énormément de planification, de gestions et de ressources.

Les premiers redéveloppements de ces ports ont été effectués à Boston et San Francisco. Tel qu’il a été mentionné, les villes portuaires se sont démarquées avant tout pour la sécurité de leurs eaux (abri des tempêtes, etc.). Dans ces villes portuaires, le bord de l’eau est rapidement devenu le point focal de toutes les activités de la région; le centre de la vie sociale, culturelle et intellectuelle.

Émergence de la régénération

des fronts de mer

Cependant, il a fallu la présence de quelques facteurs pour fournir un environnement propice à la requalification de leur front de mer (ULI, 2004):

 

  • Terrain disponible grâce à la délocalisation en périphérie des industries et quais pour les cargos.

  • Eau et terre plus propre suite à la désindustrialisation du secteur et l’augmentation de règlementation en matière d’environnement dans les années 1970-1980.

  • Mouvement de préservation historique initié dans les années 1960-1970 qui reconnait les qualités esthétiques du milieu et militent en défaveur de la démolition systématique.

  • Activisme citoyen et leadership dans un désir d’augmenter la qualité de vie en ville par la coopération de tous.

  • Revitalisation urbaine par la renaissance des centres-villes dans les années 1980-1990 en même temps que ces zones portuaires pour faire de ces endroits de environnements attractifs et animés.

  • Retour de certains usages sur l’eau comme les traversiers pour connecter deux rives urbanisées ou encore les embarcations de plaisance qui ont donné lieu à la construction de marinas.

Zone culturelle (avant / après)

Landezine, 2016

Boulevard Nyhavnsgade (avant / après)

Landezine, 2016

Selon le U.L.I., il est possible de dresser une liste de 10 principes ou motivations participant à la revitalisation des fronts de mer :

  1. Les transformations sont récurrentes et arrivent lors de gros changements économiques ou culturels.

  2. L’aura et les qualités de la ville reposent grandement sur son bord de mer.

  3. En dépit des changements rapides qui peuvent y survenir, le front de mer préserve une certaine stabilité inhérente et inaltérable.

  4. Souvent transformés, les bords de mer font surgir l’opposition tout en conciliant le désire humain de préserver et de réinventer.

  5. Malgré que le front de mer serve de frontière entre l’eau et la ville, il ne doit pas être conceptualisé comme un simple ligne mince, mais comme une zone complexe de transition entre la mer et la ville.

  6. Le développement se fait à long terme avec le potentiel d’apporter également à long terme de la valeur.

  7. Les bords de mer sous-utilisés et obsolètes reprennent vie lorsqu’on les considère comme des endroits où il fait bon vivre au quotidien plus que de simples attraits à visiter.

  8. Le public réclame l’accès au bord de l’eau.

  9. Le succès et l’attractivité du front de mer reposent sur la relation entre les usages sur l’eau et sur la terre et la qualité environnementale de l’eau et du littoral.

  10. Des environnements distincts, que l’on retrouve typiquement aux bords de mer, procurent des avantages compétitifs à la ville.

Pour planifier les changements majeurs dans une ville, on a souvent recours aux compétitions de design. Le problème avec cette approche est que, bien souvent, les jurés sont séduits par de belles images rendues sur papier qui ne montrent pas souvent ce que l’on peut réellement construire avec les fonds disponibles et les autres contraintes ni si les infrastructures traverseront le temps. Le succès de la compétition dépend souvent du jury choisi, de la clarté des objectifs et paramètres et l’intention de suivre et de construire le projet gagnant (ULI, 2004). La revitalisation d’un front de mer ne devrait pas être conçue d’une seule main; cela devrait se faire dans une série d’interventions diverses au fil de temps.

 

Pour arriver à un projet réussi, il faut non seulement penser le front de mer à long terme dans une large échelle, mais également miser sur l’importance du leadership des instances (ULI,2004). Les villes doivent confronter de nombreux enjeux lors de la requalification de secteurs aussi majeurs. Il est nécessaire que l’argent investi améliore la relation entre la ville et l’eau.  Il faut des comités travaillant avec les autorités, assumant leurs responsabilités et ayant des buts précis afin que le bien commun soit assuré à travers le temps et les changements.

Stratégies de revitalisation et de design

Selon Brutomesso (2001), les fronts de mer sont "un essentiel paradigme de la ville post-industrielle". Bien que, tel que mentionné à la section précédente, plusieurs facteurs contribuent à favoriser un redéveloppement des zones portuaires, ceux-ci ne garantissent pas le succès du projet.

Brutomesso identifie 3 types d’activités que requièrent les fronts de mer de la ville post-industrielle :

Toujours selon Brutomesso, l’obtention d’une complexité urbaine est souhaitable à même la régénération du front de mer.

Il propose 3 facteurs-clés à inclure dans le développement pour contribuer à cette complexité:

Recomposition : redonner un sens commun aux différentes parties du front de mer, physiquement et fonctionnellement

Régénération : revitaliser les zones urbaines qui sont souvent de taille considérable et localisées centralement dans la ville

Récupération : la restructuration et le recyclage des structures et bâtiments existants

pluralité de fonctions - en relation tant avec l’aire de régénération qu’avec le reste de la ville

mixité d’activités à même l’aire de redéveloppement

coprésence de fonctions, d’espaces et d’acteurs privé-public

Les villes souhaitent que leur nouveau front de mer serve d'agrément public; que leurs citoyens puissent y aller en tout temps et en toutes saisons. Il faut que l’espace public offre plusieurs fonctions: travailler, habiter, jouer, etc. Dans ce sens, il est primordial que ces zones soient requalifiées et développées dans une vision d’ensemble à long terme afin de concilier l’eau et son milieu naturel, le port et la ville. Bien que ces facteurs-clés de Brutomesso soient très généraux, il faut comprendre qu’il n’existe pas de recette universelle parfaite pour la requalification des fronts de mer. Chaque cas est différent et c’est ce qui donne leur donne leur l’identité propre. Le design devrait donc s’inspirer du génie du lieu.

 

De grands principes et stratégies sont cependant éprouvés pour assurer un réaménagement de qualité : 

Zonage et activités :

  • La forme de l’eau que ce soit, la mer, une baie, une rivière, etc. doit être considérée.

  • Les barrières doivent être retirées autant que possible.

  • Des fonctionnalités qui montrent la structure du paysage devraient être utilisées pour renforcer la forme spatiale et l’identité.

  • L’équipement le long des berges devrait être multifonctions.

  • L’espace de transition entre l’eau et la ville doit être configuré avec attention pour en faire un endroit pour s'assoir, flâner et aussi circuler.

  • La ville devrait s’étendre jusqu’au bord de l’eau avec du résidentiel, etc. pour réunir la ville et le front de mer. À l’inverse, l’influence du front de mer devrait s’étendre vers le tissu urbain des quartiers environnants puisque ce sont les activités quotidiennes qui donnent du sens à un lieu.

  • La capacité à attirer des évènements spéciaux et des célébrations est une qualité essentielle au front de mer. Souvent, dans une ville très dense, il est possible que ce soit le seul endroit pour contenir des évènements d’envergure.

Le bâti :

  • Les projets résidentiels privatisant le bord de l’eau doivent être évités. Il faut privilégier le logement de haute densité à caractère plus public ayant de l’espace commercial au rez-de-chaussée par exemple.

  • Les édifices publics devraient montrer que le front de mer peut être approché de plusieurs directions. Pour que ça fonctionne bien, ces édifices doivent être intégrés dans un tout comme un quartier à part entière de la ville.

  • Les façades doivent être attrayantes vues de l’eau et de la ville.

  • Les constructions devraient être perméables afin d’offrir des vues et l’accès au public tout en étant planifiées avec une attention particulière à l’échelle, la forme et le caractère public du front de mer.

L’accès :

  • Il devrait avoir plusieurs liens pour aller au front de mer comme il y a plusieurs raisons d’y aller.

  • Il faut planifier différents corridors multimodaux. (piétons, vélos, auto, traversier, etc.)

  • Il faut également prévoir différents seuils et transitions tels que les portails, canopées, escaliers, ponts, etc.

  • Il est primordial de procurer un lien visuel et physique fort entre la ville et l’eau.

L’histoire :

  • Il faut garder des témoins de l’histoire sans avoir peur du changement et de l’adaptation puisqu’il peut être nécessaire de démolir certains quais.

CF Møller

House of music

visitaalborg.com

CF Møller

Chateau d'Aalborg

commons.wikimedia.org

Développement des ports

adapté du Urban Land Institute, 2004

3 facteurs-clés selon Brutomesso

Par les auteurs, 2017

3 types d'activités selon Brutomesso

Par les auteurs, 2017

De manière plus précise, l’Urban Landscape Institute (ULI) résume le développement des ports majeurs au fil des siècles en 10 points :

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